De façon un peu inattendue, la co-souscription, avec dénouement au second décès notamment, occupe une bonne place dans l’actualité de l’assurance-vie puisque, depuis le début de l’année, cette opération a eu l’honneur de deux réponses à questions ministérielles et un arrêt publié de la Cour de cassation qu’il conviendra de détailler en suivant par ordre chronologique.

1 – Réponse ministérielle Malhuret du 10 janvier 2019, n° 00256 – Risque de donation indirecte en cas de co-souscription d’un contrat d’assurance-vie

Depuis la Réponse ministérielle CIOT du 23 février 2016, il est admis « pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2016, que la valeur de rachat d’un contrat d’assurance-vie, souscrit avec des fonds communs des époux et non dénoué lors de la liquidation de la communauté conjugale à la suite du décès de l’un des époux bénéficiaire, ne soit pas, au plan fiscal, intégrée à l’actif de la communauté conjugale et ne constitue donc pas un élément de l’actif successoral pour le calcul des droits de mutation dus par les héritiers de l’époux pré-décédé. »

Néanmoins, selon la Réponse ministérielle LAZARO du 20 décembre 1993, il était énoncé que « l’administration est fondée à apporter la preuve qu’un contrat d’assurance recouvre, dans certaines situations, une donation indirecte qui doit être assujettie aux droits de mutation à titre gratuit. Tel peut être le cas lorsqu’un contrat est souscrit pas une personne (…) en adhésion conjointe avec un ou plusieurs souscripteurs dans la mesure où ceux-ci bénéficient directement ou indirectement des sommes investies. »

Une telle analyse a été fortement discutée, tant elle paraît contraire aux règles de droit dans l’hypothèse d’une co-souscription par des époux communs en biens. En effet, la valeur de rachat étant commune, comment caractériser une donation au bénéfice du conjoint (ce qui est envisagé ici) sans transfert d’un patrimoine à un autre ?

Dans une telle hypothèse, le survivant ne bénéficie pas d’une valeur supplémentaire dans la liquidation civile car celle-ci s’imputant sur la part qu’il reçoit dans ladite liquidation.

C’est cette question qui a conduit le ministre de l’Economie et des Finances à apporter des précisions dans le cadre de la Réponse ministérielle MALHURET du 10 janvier 2019.

Ainsi, il est estimé que la réponse ministérielle CIOT qui porte sur « la détermination de l’actif successoral pour l’établissement des droits dus par les héritiers de l’époux pré-décédé, est sans incidence sur la qualification éventuelle de donation indirecte, taxable aux droits de mutation à titre gratuit au nom du donataire, de la transmission réalisée via le contrat d’assurance-vie au bénéfice de l’autre conjoint.

Elle ne saurait donc permettre de présumer qu’un contrat co-souscrit par des époux communs en biens dont le dénouement normal est le décès du second conjoint ne peut constituer une donation indirecte. »

Il est ajouté que « de manière générale, la souscription d’un contrat d’assurance-vie est susceptible de constituer une donation indirecte en l’absence d’éléments contredisant l’intention libérale du souscripteur. Or, compte tenu notamment du large éventail de possibilités offertes par les contrats d’assurance-vie, rien n’exclut a priori l’intention libérale de l’un des époux co-souscripteurs.

L’absence de qualification de donation indirecte ne pouvant être présumée, la régularité d’une telle opération doit être appréciée au cas par cas au vu des circonstances de fait de l’espèce. »

Par conséquent, au travers de cette réponse ministérielle l’administration campe sur ses positions dans le sens où une requalification du contrat d’assurance-vie en donation indirecte peut toujours être un élément envisageable dans l’hypothèse où une intention libérale peut être caractérisée ; et ce même dans le cadre d’une co-souscription réalisée par des époux communs en biens.

Toutefois, il conviendra pour l’administration de démontrer une réelle intention libérale de la part du souscripteur, ce qui ne sera pas toujours chose aisée.

Aucun lien ne peut ici être établi avec la souplesse fiscale qui avait pu être constatée dans le cadre de la réponse ministérielle CIOT.

2 – Réponse ministérielle Frassa, n° 10465 et Réponse ministérielle Malhuret n° 00260 du 30 mai 2019 – Novation en cas de co-souscription décalée dans le temps

La question à laquelle a été amené à répondre le Ministre de l’Economie et des Finances portait sur le fait de savoir si l’adjonction du second époux commun en biens à un contrat d’assurance-vie souscrit initialement en adhésion simple était constitutif ou non d’une novation dudit contrat.

L’objectif ici visé par les sénateurs était d’obtenir la confirmation par le ministre de la position déjà retenue par la première chambre de la Cour de cassation selon laquelle la souscription conjointe réalisée a posteriori n’avait pas eu pour effet de substituer au rapport d’obligation initial un nouveau rapport d’obligation et en a déduit que cela n’avait pas emporté novation du contrat au sens de l’article 1271 du Code civil (Cass. 1ère civ., 19 mars 2015, n° 13-28776).

L’enjeu de cette question résidait essentiellement dans la conséquence fiscale attachée à la novation, dans la mesure où cela aurait pour effet de ne pas pouvoir conserver l’antériorité fiscale du contrat car celui-ci prendrait nouvellement date au jour de la réalisation de la co-souscription.

A cela, Bercy vient apporter une réponse nuancée en énonçant que « la question de savoir si la souscription conjointe à un contrat d’assurance-vie emporte novation du contrat constitue […] une question de fait, qui doit être appréciée en fonction notamment des stipulations du contrat en cause, de la volonté des parties, des dates des souscriptions et de la situation et de l’espérance de vie de chacun des assurés lors de la co-souscription ».

En ce sens, pour l’administration, la souscription conjointe est susceptible, « lorsqu’elle conduit de manière prévisible à substituer à l’assuré un nouvel assuré unique, d’emporter un changement de créancier de l’obligation pesant sur l’assureur » et donc novation du contrat. Il est ici notamment visé le cas où une telle opération serait réalisée « sur le lit de mort » du souscripteur initial.

Enfin, le ministre en profite pour rappeler que « la souscription d’un contrat d’assurance-vie est susceptible de constituer une donation indirecte en présence d’éléments démontrant l’intention libérale du souscripteur. La régularité d’une souscription conjointe à cet égard doit être appréciée au cas par cas au vu des circonstances de fait de l’espèce et notamment de l’auteur des versements et des éventuels rachats effectués par le nouvel assuré. »

Ainsi, par cette réponse, l’administration vient émettre deux réserves au sujet des contrats souscrits conjointement entre les époux : il peut y avoir novation, et il peut y avoir donation indirecte.

3 – Arrêt Cass. 1ère civ, 26 juin 2019, n°18-21383 – Liquidation de succession en présence d’un contrat d’assurance-vie souscrit conjointement entre époux

C’est dans le cadre de difficultés rencontrées lors de la liquidation d’une succession en présence d’un contrat d’assurance-vie co-souscrit entre époux avec des fonds communs que la Cour de cassation a été amenée à se positionner.

Il s’agissait plus particulièrement de trancher sur le fait de savoir s’il y a lieu, ou non, de prendre en compte la valeur de ce contrat dans la masse à partager de la succession du pré-mourant dès lors que le dénouement de ce contrat est fixé au second décès.

En première instance, les juges tranchèrent en faveur de l’intégration de la moitié de la valeur de ce contrat dans la masse à partager. Ce jugement sera réformé en appel au motif « qu’il résulte d’une lecture combinée des dispositions du contrat et de celles du code des assurances qu’au (premier décès) […], (le survivant) a été bénéficiaire du contrat qui constitue un propre pour celui-ci, peu important que les primes aient été payées par la communauté ».

Cependant, dans un tel cas de figure la solution est assez tranchée depuis un certain nombre d’années par application de la jurisprudence Praslicka (Cass. 1ère civ, 31 mars 1992, n°90-16343°).

En effet, il est acquis que lorsque le contrat d’assurance-vie dont des époux, communs en biens, sont souscripteurs n’est dénoué qu’au second décès, sa valeur constitue un actif de communauté dont la moitié doit être réintégré à l’actif de la succession du pré-mourant.

C’est d’ailleurs la solution qui est retenue, sans grande surprise, par la Cour de cassation dans le cadre de cet arrêt en cassant l’arrêt rendu en appel au visa des articles  1134 et 1401 du Code civil : « Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le contrat s’était poursuivi avec X… R… (le conjoint survivant) en qualité de seul souscripteur, ce dont il résultait qu’il ne s’était pas dénoué au décès de l’épouse, que sa valeur constituait un actif de communauté et que la moitié de celle-ci devait être réintégré à l’actif de la succession de la défunte, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Il convient par ailleurs de préciser que cette intégration de la valeur de rachat à la masse commune ne se produit que sur le plan civil, et non sur le plan fiscal (Rép. Min. CIOT, 23 janvier 2016, n°78192).

La solution en elle-même n’a donc rien d’extraordinaire car elle constitue seulement en l’application stricte de la règle jurisprudentielle précitée.

Toutefois, dans cette espèce la clause bénéficiaire du contrat litigieux était rédigée d’une curieuse manière au regard du mode de souscription choisi par les époux.

En effet, à la lecture des moyens annexés il est possible de constater que, faute d’avoir eu recours à une clause bénéficiaire sur-mesure, les bénéficiaires désignés étaient les suivants : « le souscripteur, à défaut le conjoint du souscripteur, à défaut les enfants et descendants nés ou à naître du souscripteur, à défaut les ascendants privilégiés du souscripteur par parts égales ou le survivant, à défaut les héritiers du souscripteur ». Or, cette clause était parfaitement inadaptée au cas d’espèce dans la mesure où un contrat se dénouant au second décès ne peut logiquement avoir l’un des époux pour bénéficiaire.

C’est certainement cette contradiction entre le type de souscription choisi et la désignation des bénéficiaires qui a pu créer un contentieux entre les différents héritiers et entraîner l’erreur d’analyse réalisée par la Cour d’appel.

Cette affaire nous rappelle donc utilement le principe posé par la jurisprudence Praslycka, mais également la nécessité d’attacher une attention particulière à la rédaction des clauses bénéficiaires des contrats d’assurance-vie afin de pouvoir éviter tous conflits lors du décès de l’assuré.

Conclusions

En définitive, le choix entre une souscription simple ou une co-souscription doit être réalisé en gardant à l’esprit les différents effets juridiques et fiscaux qui peuvent être liés.

Si le choix pour une co-souscription, en présence de conjoints mariés sous un régime de communauté, est nettement plus respectueux du fonctionnement et des règles applicables au régime matrimonial, il faut garder à l’esprit les conséquences potentielles que peut engendrer un tel mode de souscription comme on peut le voir dans le cadre de ces éléments d’actualité (donation indirecte et novation potentielle du contrat).

Également, si la co-souscription avec dénouement au second décès présente bien des vertus, elle n’est pas toujours aisée à mettre en place en raison de la frilosité de certaines compagnies d’assurance ne souhaitant pas être confrontées à un potentiel recours de la part de l’administration fiscale qui décèlerait dans cette opération une donation indirecte.

C’est pourquoi il est souvent exigé que les époux soient mariés sous un régime de communauté universelle avec clause d’attribution intégrale ou bien qu’il soit procédé à un aménagement du régime matrimonial relativement audit contrat (clause de préciput notamment). Dans ces hypothèses, la valeur du contrat étant transmise par le biais des voies matrimoniales (soit contractuellement), cela annihile le risque de donations indirecte.

Il convient donc de bien analyser les conséquences potentielles de chacun des cas afin de s’assurer de délivrer un conseil sur-mesure réellement adapté à chaque client.

De-même, il ne faut pas oublier de prêter une attention particulière à la rédaction des clauses bénéficiaires des contrats d’assurance vie car celles-ci peuvent parfois créer des conflits en raison de leurs imprécisions comme on peut le voir dans le cadre de l’arrêt de la Cour de cassation.