Arrêt CE du 8 février 2019 (n° 407641)

Par un arrêt du 8 février 2019, le Conseil d’Etat considère que l’opération par laquelle un contribuable fait racheter une résidence secondaire à une SCI (Société Civile Immobilière) constituée par celui-ci ainsi que son épouse et ses enfants, et que celle-ci la donne immédiatement en location au couple, ce qui leur a permis de constater un déficit foncier en raison des importants travaux réalisés sur cet immeuble, est constitutive d’un abus de droit.

Dans cette espèce, le contribuable et son épouse (M et Mme B.) détenaient chacun 54 des 120 parts d’une SCI, constitué en 1989, qui exerce une activité d’exploitation d’un patrimoine immobilier à usage d’habitation ou de bureaux, les parts restantes étant détenues leurs enfants. En 1996, la SCI a racheté auprès de M. B…, qui en avait fait l’acquisition en 1992, une maison qui constituait la résidence secondaire du couple. Puis, la SCI a immédiatement donnée en location ledit immeuble aux époux moyennant le versement d’un loyer mensuel.

Par suite de cette opération, la SCI a pu constater, au titre des années 2005 et 2006, un déficit foncier en raison des travaux d’entretien et d’amélioration effectués sur le bien concerné. Ce faisant, les époux ont pu réduire de leur revenu global la part du déficit foncier leur revenant.

A l’issue d’une vérification des comptes de la SCI par l’administration fiscale, celle-ci a remis en cause la déduction des déficits fonciers réalisée par les époux.

Elle estimait que la vente du bien concerné puis sa mise en location au profit des deux époux caractérisait un abus de droit destiné à faire échec à l’application des dispositions du II de l’article 15 du Code général des impôts, qui prévoient que les revenus des logements dont le propriétaire se réserve la jouissance ne sont pas soumis à l’impôt sur le revenu et dont il se déduit que les charges correspondantes ne sont pas déductibles. Elle les a écartées, sur le fondement de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales, comme ne lui étant pas opposables.

Pour rappel, l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales permet à l’administration d’écarter l’application d’actes qui seraient constitutifs d’un abus de droit, soit parce qu’ils ont un caractère fictif (abus de droit par simulation), soit car, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif d’éluder ou de simplement atténuer les charges fiscales que l’intéressé aurait normalement du supporter eu égard à sa situation réelle (abus de droit par fraude à la loi).

En ce sens, le Conseil d’Etat énonce au sein de son 12ème considérant que « il ressort des travaux préparatoires de l’article 11 de la loi du 23 décembre 1964 de finances pour 1965 d’où sont issues les dispositions précitées du II de l’article 15 du Code général des impôts que l’objectif poursuivi par le législateur était, d’une part, de simplifier le régime fiscal des propriétaires occupants compte tenu des difficultés qui s’attachent à l’évaluation des loyers implicites qu’ils se versent à eux-mêmes et, d’autre part, de faire obstacle à la déduction du revenu imposable de déficits fonciers susceptibles, dans cette hypothèse, de résulter de la surévaluation des charges et de la sous-évaluation des revenus. »

Partant de ce postulat, le Conseil d’Etat a pu considérer que, suite à la cession les contribuables ayants disposés du bien comme s’ils en étaient les propriétaires occupants et s’étant de la sorte placés dans une situation offrant les possibilités de sous-estimation des résultats fonciers que le législateur à entendu combattre.

En effet, dans cette opération les contribuables ont transféré à la SCI, dont ils détenaient avec leurs enfants la totalité des parts, la propriété de leur résidence secondaire, qui avait appartenu pendant plusieurs années à M. B…, et ont conclu avec cette dernière un bail locatif, d’abord verbal puis écrit pour en conserver la jouissance.

De même, le Conseil d’Etat relève, dans son 11ème considérant que les travaux effectués sur cette résidence ont pour l’essentiel été engagés après le transfert de propriété et qu’ils ont été financés par des apports en compte d’associés de la part de M. B…

Par ailleurs, le montant des loyers avait certes été réévalué par suite de la réalisation des travaux, mais ces derniers correspondaient strictement au montant des échéances de remboursement de l’emprunt contracté pour l’acquisition de la villa.

Ils ont ainsi créé les conditions leur permettant d’imputer sur leur revenu global des charges liées aux travaux engagés dans le bien concerné.

En ce sens, les contribuables ont entendu bénéficier d’une application littérale de la condition de réserve de jouissance, telle qu’énoncée par l’article 15 du Code général des impôts, qu’ils ont estimés ne pas être remplie en raison de l’interposition de la SCI.

Le Conseil d’Etat en a donc conclu que dans de telles circonstances, et alors même que la SCI avait été créée plusieurs années auparavant et exploitait par ailleurs un important patrimoine immobilier, l’administration doit être regardée comme apportant la preuve que l’interposition de la société dans la gestion de la maison répondait à un motif exclusivement fiscal, les considérations relatives à la transmission du patrimoine avancées par les contribuables étant dépourvues de toute consistance.

Par conséquent, ce type d’opérations devrait être à proscrire en raison du recours potentiel de l’administration qui serait susceptible de caractériser l’existence d’un abus de droit, et ce quand bien même si la société servant d’écran exploite également un patrimoine autre que celui concerné par l’opération.

De plus, il convient de noter que, dans l’arrêt d’espèce, l’abus de droit a été retenu en présence de la définition actuelle en raison d’un objectif supposé comme étant exclusivement fiscal dans une telle opération.

Ainsi, le risque de redressement sera d’autant plus important en raison de la nouvelle définition qui entrera en application pour les actes passés ou réalisés à compter du 1er janvier 2020, dans la mesure où l’administration pourra les écarter sur le terrain de la fraude à la loi au motif de leur but principalement fiscal (loi 2018-1317 du 28 décembre 2018, applicable aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2021).