Cass. Civ. 1ère, 29 mai 2019 n°18-13.383 : détermination de la résidence habituelle pour la mise en oeuvre du règlement européen sur les successions

La très médiatique succession internationale de Johnny Hallyday nous rappelle l’importance de la notion de résidence habituelle du défunt en Droit international privé. Dans l’attente que le conflit opposant les héritiers du rockeur soit tranché, nous proposons d’examiner une décision rendue par la Cour de cassation le 29 mai 2019 ayant également trait au conflit de compétences juridictionnelles.

Dans cette affaire un ressortissant américain, vivant de façon alternée entre l’Europe et les Etats-Unis, décède à New-York en laissant trois enfants. Par testament, il déshérite l’une de ses filles. Cette dernière assigne devant une juridiction française ses frères et sœurs en partage judiciaire de la succession au motif que le défunt avait sa résidence habituelle à Paris et non à New-York. Pour rappel, le Droit français ne permet pas de déshériter l’un de ses enfants qui est toujours protégé par la réserve héréditaire (portion minimale de l’héritage). A l’inverse, aux Etats-Unis, la réserve héréditaire n’existe pas. On peut donc y déshériter un enfant.

La question qui se pose est de savoir quel est le juge compétent pour connaître de cette succession. S’agit-il du juge français ou du juge américain ?

Dans le cadre d’une succession internationale, il convient de se référer au Règlement européen du 4 juillet 2012, entré en vigueur dans l’Union européenne le 17 août 2015. Il nous donne la méthodologie à suivre pour solutionner le conflit de compétence juridictionnelle dont il est question.

Il prévoit dans son article 21 que, par défaut, une seule loi nationale régit l’ensemble de la succession. C’est celle de la résidence habituelle du défunt. Il s’agit en principe de la loi de l’Etat où le défunt a passé la majorité de son temps (A). Par exception et pour les cas où il s’avère complexe de déterminer la résidence habituelle selon ce critère du temps passé, d’autres critères doivent être envisagés (B).

A – Le principe : le temps passé

Où le défunt passait-il la majorité de son temps ? Paris ou New-York ?

La difficulté réside dans ce que le Règlement susvisé ne définit pas la « résidence habituelle ». Son préambule nous indique que pour déterminer la résidence habituelle il convient de procéder à une « évaluation d’ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l’Etat concerné […] ».

Il appartient donc au juge d’étudier chaque affaire au cas par cas et d’apporter la preuve de la réalité de la résidence habituelle selon le temps passé par le défunt dans tel pays plutôt que tel autre. Si le défunt passait plus de six mois de l’année à Paris, les juges de cassation auraient sans nul doute pu conclure à une compétence du juge français.

Or dans l’affaire soumise à notre examen, la durée des séjours dans l’un ou l’autre Etat n’est pas déterminante pour la solution du litige. Autrement dit, aucun élément de fait ne permet d’identifier clairement la résidence habituelle du défunt. Il faut donc envisager des critères alternatifs.

B – L’exception : les critères alternatifs de la nationalité et de la situation géographique des biens appartenant à la succession

Avec quel Etat le défunt entretenait-il les liens les plus étroits ? Paris ou New-York ?

Par exception, il peut résulter des circonstances que le défunt présentait des liens plus étroits avec un Etat plutôt qu’un autre dès lors que le critère du temps passé n’a pas permis de départager les deux juridictions. L’arrêt du 29 mai 2019 retient le critère de la nationalité du défunt et celui de la situation géographique de l’ensemble des principaux biens appartenant à la succession.

En l’espèce, le défunt avait la nationalité américaine mais pas la nationalité française. Il détenait aux Etats-Unis un patrimoine immobilier important. S’il semblait avoir financé l’acquisition d’un appartement à Paris où il séjournait régulièrement, le titre de propriété était aux seuls noms de ses enfants. Les juridictions françaises ne sont donc pas compétentes pour statuer sur cette succession.

Cette solution retient l’attention des gestionnaires de patrimoines, soucieux d’accompagner au mieux leurs clients qui adoptent des comportements internationaux aux conséquences civiles et fiscales insuffisamment mesurées.