Cession de l’usufruit temporaire de parts de société, abus de droit et acte anormal de gestion

À la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a considéré que le montage au profit de la SARL Thierry C était réalisé dans un but exclusivement fiscal. Elle se fonde sur l’article L64 du Livre des procédures fiscales et constate un abus de droit.
Conséquences :
- Reprise des amortissements opérés sur l’usufruit temporaire
- Remise en cause de la déduction des intérêts d’emprunt (que la SARL avait souscrit afin d’acquérir son usufruit temporaire)
L’administration fiscale a également recherché l’existence d’un acte anormal de gestion contre la SARL Thierry C dans la mise en place de la stratégie.
La SARL Thierry C présente deux requêtes distinctes afin que le tribunal administratif d’Amiens prononce la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés (IS) auxquelles elle a été assujettie pour les années 2009, 2010, 2012, 2013, 2014 et des pénalités afférentes.
Le tribunal administratif approuve les requêtes de la SARL.
Le Ministre de l’Action et des Comptes publics fait appel du jugement du tribunal administratif d’Amiens le 23/03/2017.
La Cour administrative d’appel de Douai rejette l’appel et rend un arrêt en date du 1er juillet 2019 (n°17DA01029).
Concernant l’absence d’abus de droit :
• Il n’y a pas de caractère fictif dans la stratégie mise en oeuvre : la SARL Thirry C, la SCEA et la SCI ont des activités bien réelles.
• La recherche de l’application littérale des dispositions de l’article 619 du Code civil par l’administration fiscale n’a pas lieu d’être.
• La déduction fiscale des intérêts d’emprunt a une contrepartie dans la perception des revenus versés par la SCI et la SCEA.
• L’administration fiscale soutient que la taxation à l’IS reste plus avantageuse qu’une taxation à l’impôt sur le revenu (IR). La stratégie ne génère aucune taxation à l’IR pour Monsieur et Madame C. Si la SARL avait acquis les parts en pleine propriété, elle aurait également imposée à l’IS et les époux n’auraient pas subi de taxation.
• Afin de mettre en place un bail rural par lequel Monsieur et Madame C seront preneurs, il est nécessaire que le capital de la SCEA soit majoritairement détenu par des personnes physiques.
• La SARL avait un intérêt autre que fiscal (amortissement de l’usufruit temporaire) à acquérir l’usufruit des parts des deux sociétés. Il n’y a, dès lors, pas de but exclusivement fiscal.
Concernant l’absence d’acte anormal de gestion :
• L’administration fiscale soutient que la SARL a supporté le financement de son usufruit à hauteur de 65% et perdra son usufruit au terme des 21 ans sans aucune indemnité, ni contrepartie.
• L’extinction de l’usufruit au terme des 21 ans ne constitue pas une intention libérale de la SARL Thierry C au profit du gérant, ce dernier ayant lui-même renoncé aux fruits (revenus) des parts pendant 21 ans au profit de la SARL.
• L’usufruit étant temporaire, la SARL peut légalement l’amortir. L’administration fiscale ne conteste pas cet usufruit temporaire amortissable.
• L’administration fiscale ne peut établir que l’amortissement pratiqué est calculé de manière à compenser les produits issus de l’usufruit. Ces derniers n’ont pas vocation à être fixes comme le démontrent les résultats de la SARL au cours des années de litige.
• L’administration fiscale n’établit pas non plus que le montant de l’usufruit temporaire devrait représenter moins de 65% du prix d’acquisition des parts.
• Les frais financiers (emprunt) ne sont pas dénués de contrepartie dès lors qu’ils ont pour objet l’acquisition d’éléments productifs de revenus pendant les 21 ans de l’usufruit temporaire. Dès lors, l’administration fiscale ne peut pas établir un acte anormal de gestion par la déduction des intérêts d’emprunt par la SARL.
Conclusion
C’est à bon droit que le tribunal a prononcé la décharge des impositions en litige du fait de l’absence d’abus de droit.
L’administration fiscale n’établit pas que la déduction des intérêts d’emprunt par la SARL constitue un acte anormal de gestion.
Le Ministre de l’Action et des Comptes publics peut contester cette décision devant le Conseil d’Etat dans un délai de deux mois à compter de la décision de l’administration.
Affaire à suivre…