Fiscalité patrimoniale : la cour de cassation et le conseil d’Etat mettent de plus en plus en cause les personnes morales dans les opérations patrimoniales !

Deux décisions récentes doivent attirer l’attention des conseils du chef d’entreprise dans la qualité de leur accompagnement.

S’il est parfois difficile pour l’administration fiscale de venir remettre en cause une solution juridique ou patrimoniale en qualifiant l’abus de droit ou encore l’acte anormal de gestion dont serait auteur le contribuable personne physique, elle n’hésitera pas à trouver un terrain plus fertile en exposant directement les sociétés à des redressements.

N’oublions pas de protéger les actionnaires aussi bien les sociétés et ainsi d’analyser et d’évaluer les opérations réalisées entre un associé et la ou les sociétés dont il est actionnaire.

1/ Premier exemple

Le chef d’entreprise, dans le cadre de la restructuration de son patrimoine professionnel, peut-être conduit à apporter à une société des biens ou encore des titres d’une autre société que ce soit en pleine propriété, en usufruit ou plus rarement en nue-propriété.

Dans quelle mesure la société bénéficiaire de ces apports pourrait-elle être redressée par l’administration fiscale ?

L’administration fiscale peut être conduite à redresser la société bénéficiaire de l’apport si elle établit d’une part un écart significatif entre la valeur d’apport et la valeur réelle des biens ou droits apportés et d’autre part, que l’intention de l’apporteur était d’octroyer une libéralité à la société bénéficiaire.

Or, la jurisprudence semble considérer que l’écart peut être considéré comme significatif dès lors qu’il se situe autour des 20%. Quant à l’intention libérale, elle peut être présumée lorsque les parties sont en relation d’intérêt (CE, 5 janv. 2005, n° 254556, Sté Raffypack).

2/ Deuxième exemple : Société Cérès (CE 9 mai 2018 n°387071)

Monsieur X, dans le cadre de la transmission de son entreprise à son fils, consent à une société Holding dont ce dernier est associé, l’apport d’une partie des titres détenus dans sa société d’exploitation.

L’administration fiscale redresse la Holding bénéficiaire de l’apport au motif d’une part que la valeur vénale des titres apportés est supérieure de plus d’un tiers à leur valeur d’apport et d’autre part, que l’intention libérale de l’apporteur ne peut être présumée. Pour l’administration fiscale, l’opération confère donc à la Holding un avantage à titre gratuit constitutif d’une libéralité. Le Conseil d’Etat suit l’administration fiscale.

Il décide alors de faire prévaloir l’autonomie de la personnalité morale, pour apprécier le bénéfice de l’opération pour la société et rejette l’argument présenté par le redevable qui contestait qu’un appauvrissement résulte pour lui de l’apport dans la mesure où les titres de la holding qu’il recevait en échange avaient nécessairement une valeur vénale identique à celui-ci.

3/ Troisième exemple : CAA Dijon 5 mai 2011

La renonciation à un usufruit au profit d’une société est constitutive d’une donation faite à cette même société, et non aux associés de cette dernière, qui étaient en l’espèce les enfants du donateur.

4/ Quatrième exemple : Cass. com., 10 avril 2019, n°17-19.733

La société Holding A détient la nue-propriété de parts d’une société B dont Madame Y détient l’usufruit. Les associés de la Holding ne sont autres que les enfants de Madame Y.

En 2006, cette dernière décide d’abandonner les parts de la société B à la Holding A et ce sans contrepartie financière.

L’administration fiscale met en recouvrement la société Holding A. Après que la Cour d’Appel de Chambéry (CA Chambéry, 11 avril 2017, n°15/01707) ait suivi dans ses arguments l’administration fiscale, les contribuables se pourvoient en cassation. Les demandeurs font alors valoir devant la cour de cassation que si l’abandon d’usufruit pouvait être constitutif d’une donation indirecte, seuls les enfants pouvaient être qualifiés de donataires.

La cour de cassation rejette alors le pourvoi au motif que « l’arrêt constate que l’usufruit dont Mme S. a fait l’abandon sans contrepartie n’était pas dépourvu de valeur, que cet abandon la privait de tout pouvoir de décision au sein de la société et que, s’il profitait aux associés en leur permettant de céder leurs actions, la société l’avait immédiatement accepté et avait perçu les dividendes lui revenant dès leur mise en distribution ».

La Cour de cassation en conclut alors que Madame Y avait souhaité gratifier la Holding A en augmentant la valeur de ses actions dans la société B et que par conséquent cette première était bénéficiaire de la donation intervenue en sa faveur et non au bénéfice des enfants de Madame Y.