Repenser la place de l’entreprise dans la société, tel était l’objectif poursuivi par le législateur qui est venu « enrichir » l’article 1833 du Code Civil. Désormais, si toute société doit continuer à « avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés », elle doit aussi « être gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux ». Ces dispositions sont complétées par celles de l’article 1835 du Code civil qui ajoute que « Les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ».

Redéfinition du rôle de l’entreprise

Dans un contexte marqué par un bouleversement du rôle sociétal des sociétés (RSE, Compliance..), des modes de gouvernance et par la pression de l’opinion publique qui dénonce en continu les grands groupes, la maximisation des profits et le rôle de l’actionnaire, ces textes ont eu pour vocation de redéfinir l’organisation et le rôle des entreprises françaises qui ont « besoin de capitaux et d’actionnaires de long terme […] (ainsi que) d’un capitalisme plus responsable sur le plan social et environnemental ». Ce texte trouve, dans cette perspective, ses origines dans le rapport Senard-Notat de mars 2018. En voulant un texte d’application générale à toutes entreprises, le législateur a ainsi cherché à imposer une modification profonde de la mentalité des opérateurs économiques afin de redéfinir, par le bas, par les acteurs eux-mêmes, le rôle et la fonction des sociétés en droit français.

L’entreprise veut désormais avoir un rôle supérieur à la préservation des intérêts de ses actionnaires et devient ainsi la somme d’intérêts collectifs présumés supérieurs.

Cependant, comment mesurer la portée de cette nouvelle rédaction ? Comment appréhender la notion d’entreprise ? D’intérêt social ? De raison d’être ? Et surtout quelles conséquences pratiques ? En termes de contentieux ?

L’intérêt social

Concernant l’intérêt social, le Conseil d’État stipule que « le projet de loi, qui prend le parti de ne pas définir cette notion, renvoie implicitement aux contours qu’en trace de façon souple mais non indéterminée la jurisprudence, notamment dans le cadre des théories de l’abus de majorité et de minorité » (Avis CE sur le projet de loi Pacte, 14 juin 2018, n°98, p. 38). Comme l’alinéa 1 de l’article 1833 a été conservé, la notion d’intérêt social doit certainement être entendue dans un sens distinct de celle d’intérêt commun des associés.

Sophie Schiller, Professeur des universités et directrice du M2 223 à l’Université Paris Dauphine nous donne quelques exemples.

« Dans les sociétés civiles, constituées entre des membres d’une même famille ou plus souvent d’un couple ou même avec une seule personne, il faudra rechercher cet intérêt distinct, qui dépasse celui des personnes à origine de l’affectation patrimoniale. Si la société a été constituée entre deux époux pour détenir un immeuble, elle devra être gérée dans son intérêt social en prenant en considération des enjeux sociaux et environnementaux de son activité. La décision de ne pas procéder rapidement à des travaux significatifs d’isolation pourra certainement être qualifiée de nuisible à l’environnement. Dès lors, elle constituerait une décision de gestion contestable selon les nouveaux standards ».

La raison d’être d’une société

Enfin, concernant la raison d’être de la société et selon le rapport précité, elle exprime ce qui « est indispensable pour remplir l’objet de la société. […] C’est un guide pour déterminer les orientations stratégiques de l’entreprise et les actions qui en découlent. Une stratégie vise une performance financière mais ne peut s’y limiter. La notion de raison d’être constitue en fait un retour de l’objet social au sens premier du terme, celui des débuts de la société anonyme, quand cet objet était d’intérêt public. De même qu’elle est dotée d’une volonté propre et d’un intérêt propre distinct de celui de ses associés, l’entreprise a une raison d’être ».

En ce qui concerne la sanction encourue en cas d’inobservation des nouvelles dispositions de l’article 1833 du Code civil, le non-respect de cette nouvelle disposition ne sera pas sanctionné par la nullité de la société. En effet, dans l’état premier du projet de loi, comme il apparaissait déjà qu’il s’agirait logiquement d’une disposition impérative, toute décision sociale prise en violation de ce texte semblait donc pouvoir être annulée (v. C. civ., art. 1844-10, al. 3 ; C. com., art. L. 235-1, al. 2), sans compter, bien sûr, la possibilité de mettre en cause la responsabilité du dirigeant à l’origine de la décision (BRDA 2018, n° 17, p. 26). Auteur d’une faute de gestion, il pourrait également être révoqué par l’assemblée des actionnaires. Aussi, l’Assemblée nationale a-t-elle exclu que cette méconnaissance puisse être une cause de nullité des actes ou délibérations des organes de la société, en exceptant, dans le texte de l’article 1844-10, alinéa 3, le dernier alinéa de l’article 1833. Cette précision aboutit à qualifier expressément d’ordre public l’article 1833, alinéa 2 nouveau, sur la prise en compte de l’intérêt social et des enjeux sociaux et environnementaux (BRDA 2018, n° 19, p. 23).

De nouvelles possibilités d’organisation

La loi Pacte a également modifié un article du Code de commerce ouvrant des possibilités d’organisation en revanche plus intéressantes dans les sociétés familiales. Pour exemple, est supprimée l’obligation de respecter le principe de proportionnalité du droit de vote au capital. Alors que la faculté n’existait que dans les SAS, il est désormais possible dans une société anonyme de dissocier librement le capital du pouvoir, dès lors que la société n’est pas cotée. Ainsi, en présence de plusieurs actionnaires passifs, actifs ou de plusieurs membres d’une même famille, certains pourront recevoir des actions à droit de vote supplémentaires qui leur permettront d’exercer le pouvoir alors que les autres, avec des actions simples, voire en partie dépossédés de droit de vote, ne risquent pas d’interférer dans les décisions sociales. Cela ouvre alors des perspectives très intéressantes en matière d’ingénierie patrimoniale.